mercredi 16 mars 2016

Sortir d'une société de précarité


Une fois n'est pas coutume, j'ai choisi de ne pas écrire personnellement l'article hebdomadaire de ce blog, mais de reprendre une tribune publiée ce jour par le Premier ministre Manuel Valls, sur le sens de l'action d'une gauche moderne et réformiste qui accepte de se confronter au difficile exercice du pouvoir d'Etat. A l'heure où le projet de loi Travail suscite des interrogations dans la société, avant sa présentation en Conseil des ministres la semaine prochaine et son examen par l'Assemblée nationale au cours des deux prochains mois, cette tribune me semble opportunément détailler le contexte, les enjeux et les objectifs poursuivis. 

"Depuis la fin des Trente Glorieuses, notre pays, peu à peu, a glissé vers une société marquée par la défiance et la précarité.


D’une certaine manière, cette évolution peut s’expliquer d’un point de vue historique et philosophique. L’avènement de l’individualisme s’est accompagné d’une prise de conscience de la vulnérabilité de l’humain. Notre époque est donc celle d’un formidable paradoxe : l’individu est libre, émancipé, mais taraudé, en même temps, par l’incertitude et le doute. Comme le notait déjà André Malraux, l’homme moderne est nécessairement un « homme précaire », voué à s’interroger, à se remettre en question, à éprouver un sentiment de fragilité dans son rapport au monde.

Cette tendance de fond de la précarité s’est aussi insinuée au cœur même de notre marché du travail. Faut-il l’accepter ? Non ! Et pour cela, il faut d’abord s’accorder sur ce qu’est cette précarité. Savoir qui en sont les premières victimes. Elles sont d’ailleurs souvent celles qui se font le moins entendre.

La précarité, c’est en premier lieu celle des 3,5 millions de personnes sans emploi – un niveau de chômage très supérieur à celui de nos partenaires allemands et britanniques.

C’est ensuite notre marché du travail marqué par les inégalités : pour treize millions de salariés en CDI, il y a six millions de personnes qui enchaînent les emplois précaires. Aujourd’hui, 90 % des embauches se font en CDD ou en contrat d’intérim.

Les premières victimes, ce sont les peu qualifiés, mais également les femmes, les seniors, les habitants des quartiers populaires, toutes celles et tous ceux qui subissent les discriminations à l’embauche ou dans leur vie professionnelle. Les premières victimes, ce sont, bien sûr, les jeunes. Parmi eux, les moins diplômés sont les plus durement atteints par l’hyper-précarité.

Et pour tous, même pour ceux qui ont fait des études, l’entrée sur le marché du travail est un parcours semé d’embûches : un jeune de moins de 25 ans sur quatre est au chômage. Comment alors débuter dans la vie, faire des projets ? Tant de jeunes se disent à quoi bon, et commencent à baisser les bras. C’est insupportable.

Si cette précarité sur le marché du travail s’est installée, entraînant d’autres précarités, devant l’accès au logement, à l’emprunt, aux soins, aux loisirs, c’est parce que notre pays n’a pas toujours su comprendre les mutations du monde.
C’est encore le cas aujourd’hui. Certains voudraient nier la mondialisation pour sanctuariser notre modèle social. D’autres, au contraire, s’y soumettre aveuglement en sacrifiant les droits des salariés. Ces deux chemins mènent à l’impasse.

Il y a une alternative à ces deux conservatismes : la réforme, fidèle aux valeurs de progrès ; la réforme exigeante, audacieuse, fondamentalement émancipatrice et protectrice. Exigeante, car oui, les Français, les jeunes, valent mieux que cela !

L’idéal d’une société n’est pas de mettre des barrières entre les « inclus », qui bénéficient pleinement de notre modèle social, et ceux qui en sont exclus. Au contraire, notre idéal commun doit être d’offrir à chacun cette double opportunité : exercer sa liberté d’agir, de créer, de prendre des risques, tout en ayant accès à un socle essentiel de protections. Voilà le projet collectif d’une gauche du réel, d’une gauche réformatrice.

Exigeants, nous devons aussi être audacieux. La précarité, sa logique implacable, nous ordonne de réinventer notre modèle social. En restaurant la confiance entre l’employeur et l’employé, entre le salarié et ses représentants. En donnant plus de souplesse, plus de visibilité à nos entreprises, pour casser les rigidités à l’embauche sur lesquelles viennent se briser tant de parcours, tant d’espoirs. En renforçant, également, les protections des salariés et la prise en compte de leurs droits. Des droits qui doivent – c’est la grande révolution du compte personnel d’activité ! – les suivre tout au long de leur parcours professionnel, notamment pendant les périodes de chômage, quand il faut justement avoir les moyens de se former, de rebondir. Aujourd’hui, changer d’entreprise, c’est souvent perdre tous ses droits, recommencer à zéro. Demain, les droits suivront.

Audacieux, nous devons l’être, en particulier pour les jeunes. Ceux qui sortent du système scolaire sans diplôme, aujourd’hui condamnés à l’échec, pourront apprendre un métier et prendre un nouveau départ. Des heures de formation seront créditées sur leur compte personnel d’activité. La « garantie jeunes », une allocation de 460 euros pour les 18-25 ans, mais aussi et surtout un accompagnement renforcé pour se former et obtenir un emploi, sera généralisée. 200 000 jeunes en bénéficieront en 2017. Enfin, celles et ceux qui s’engagent dans un service civique auront automatiquement droit à des heures de formation.

Toutes ces mesures sont au cœur de la loi Travail, portée avec pugnacité par Myriam El Khomri, Emmanuel Macron, et tout le gouvernement. C’est une réforme essentielle pour que la France, son modèle social, soient en phase avec le monde d’aujourd’hui. Elle permet aux entreprises d’être plus compétitives dans la concurrence mondiale, aux salariés d’être mieux formés et protégés, d’ouvrir le marché du travail à tous ceux qui en sont exclus. Et de refaire du CDI la norme.

Réinventer notre modèle social, c’est plus largement repenser les modes d’action de l’Etat. Il doit pouvoir prévenir les inégalités, les injustices avant qu’elles ne se forment plutôt que de se contenter de les corriger, nécessairement trop tard, et jamais complètement. Pour donner à chacun les moyens d’avancer, de trouver sa place, de réussir, nous devons faire davantage en amont. C’est le choix de la pré-distribution – notamment par l’éducation, la formation des jeunes, mais également tout au long de la vie – plutôt que de seulement s’occuper des inégalités en aval, par la redistribution.

Nous devons mener à bien cette réforme du marché du travail, car elle s’inscrit dans un projet de société ambitieux qui veut donner sa chance à chacun. Si nous ne le faisons pas, d’autres – ceux-là même qui proposent 100 milliards d’euros de coupes budgétaires, de supprimer aveuglement 300 000 emplois publics – se chargeront, au contraire, de casser notre modèle social. 
 
Le choix est donc simple : il est entre la réforme et le statu quo. Ne pas choisir la réforme aujourd’hui, c’est se condamner à la rupture conservatrice demain."

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