mercredi 16 février 2011

Petit coup de gueule, en passant


Tous les bons esprits se sont félicités (il n'y a qu'un bon esprit pour se féliciter tout seul) de la révolution du jasmin en Tunisie, puis du départ de Moubarak en Egypte. Il est d'ailleurs curieux de constater, dans tous les commentaires, à quelle vitesse nos amis les présidents sont devenus d'abominables dictateurs. Passons, tel n'est pas mon propos, ni mon coup de gueule du jour...

En revanche, finalement assez peu de commentaires sur les raisons qui ont poussé des peuples à aspirer à autre chose et à congédier, de manière relativement pacifique, ceux qui exerçaient abusivement le pouvoir en leur nom. Ont été bien sûr évoquées la pauvreté, voire parfois la faim. Mais aussi le ras-le-bol de constater que les richesses des pays (et il y en a) étaient chaque jour un peu plus confisquées par une petite côterie au service du pouvoir.

Je voudrais pour ma part m'attarder sur le manque de démocratie. Simplement pour rappeler que ce bien si précieux, qui conduit des femmes et des hommes dans le monde à mettre leur vie en péril pour l'obtenir, nous en perdons parfois le sens de la valeur en France.

Sommes-nous libres de choisir nos gouvernants en France ? Assurément oui, totalement ! Notre démocratie est-elle cependant en danger ? Je le crois, en raison de l'indifférence collective que le débat démocratique suscite de plus en plus et pas seulement chez les plus exclus de la société.

Ainsi ai-je, à plusieurs reprises, entendu des magistrats ou avocats interrogés à l'occasion d'un mouvement de protestation, qui a par ailleurs toute ma sympathie, déclarer : "les politiques doivent prendre leurs responsabilités".

"Les politiques" ? Mais lesquels ? De la part de citoyens dont le moins que l'on puisse dire est qu'on ne peut leur faire le procès de ne pas maîtriser toutes les subtilités de la langue française, ce "les politiques" est de mon point de vue révélateur et lourd de sens.

Peu importe donc, à leurs yeux, que la révision générale des politiques publiques qui ampute les moyens de l'Etat (non remplacement d'un départ sur deux à la retraite, coupes claires dans les crédits d'investissement), peu importe que réforme de la carte des tribunaux, peu importe que les modifications incessantes et inadaptées des procédures judiciaires, peu importe que les mises en cause, soient le fait d'un seul camp politique, du seul président de la République, du seul gouvernement et de la double majorité de droite dont ils sont issus depuis les élections présidentielles et législatives de 2002, confirmées par les électrices et les électeurs en 2007 pour cinq années de plus. Non ! Dire "il appartient à la droite de prendre ses responsabilités" (puisque c'est à elle que le peuple a confié le pouvoir jusqu'en 2012), à tout le moins "il appartient au président de la République, au gouvernement et au parlement de prendre leurs responsabilités", semble être devenu impossible pour un citoyen normal. Peur de se mouiller ? De paraître politicien, l'injure suprème ?

Je crains qu'à force de ce genre de généralisation, qui nie finalement la réalité du débat démocratique, nous n'abîmions durablement celle belle démocratie qu'on nous envie pourtant beaucoup ailleurs.

Ajoutons les amalgames auxquels aucun responsable politique, si modeste soit-il, ne peut plus désormais échapper, parce que les voyages en avion de quelques-uns, les cigares ou autres indélicatesses d'une minorité d'autres (malheureusement dans tous les camps !) donnent un sentiment global de délitement. Et vous obtenez les résultats de l'enquête récente du Cevipof, qui enregistre une perte de confiance inédite de tous les élus, de tous bords, du plus petit au plus grand ! A bas "les politiques".

De quoi parfois décourager l'immense majorité de ceux, quelle que soit leur étiquette d'ailleurs, qui remplissent leur mission d'élu avec sincérité, qui se battent dans l'indifférence générale au sein de leur mairie ou leur Conseil général pour boucler des budgets de plus en plus compliqués, qui font face aux exigences et à la défiance de plus en plus fréquente de ceux pour lesquels ils se sont engagés, consentant la plupart du temps beaucoup d'efforts personnels. Oui parfois, j'ai le sentiment que notre démocratie court le danger de l'indifférence voire la méfiance qu'elle suscite dans notre pays, de la perte de repères encouragée par ceux qui ont tout intérêt à la confusion, pour ne pas subir les foudres que devrait normalement susciter leur bilan. Et pourtant, elle est belle notre démocratie et je ne peux m'empêcher d'y croire encore. Alors, puisqu'il semble que ce soit la mode, je suis tenté de dire : citoyens, indignez-vous ! Mais ayez l'indignation juste et rationnelle.